Filmer l'aube, c'est accueillir la naissance du visible. La montée progressive de la lumière du jour révèle la matière du monde et trace ses contours. Le temps de la vidéo, la métamorphose continue de l'image manifeste l'extrême plasticité du visible, son infinie puissance d'apparition et de disparition, de figuration et de déformation.
Le geste de Caroline Duchatelet est un rituel d'accueil et d'attention, une sorte de cérémonie immobile répétée pour chaque aube. Choisir un lieu et un moment, définir un cadre, laisser la lumière faire son oeuvre en silence. Ce qui a lieu dans l'image ne relève pas tout à fait de l'épiphanie ou de la révélation : car la lumière ne dévoile pas une image définitive, ne fixe aucun cliché ; elle module la variation continue du sensible, préside aux jeux immanents du tracé et de la couleur, de la surface et de la profondeur. Certes, dans la plupart des vidéos, le travail de la lumière fait advenir une image. Mais la vidéo ne s'achemine pas vers celle-ci comme vers une conclusion, un but. Elle accomplit l'opération inverse : à rebours du cliché connu, stable, tel que nous avons l'habitude de le voir, il s'agit de remonter vers un état instable, d'avant la composition. Les aubes de Caroline Duchatelet ne racontent pas une histoire de l'image, elles s'attardent dans sa préhistoire.
Cyril Neyrat
Notes sur trois films de Caroline Duchatelet
avril 2011